L’univers de Michel Donais

Fleurs, Narration, Développement, Musique…


Je suis devenue la personne la plus forte

Chapitre 2 : Karma [accès gratuit]


« Salut, Is ! On fait la tournée des bars ? »

Le lendemain, alors que j’allais quitter le travail, je reçus un bref texto de Lou. Elle demeure ma meilleure amie après toutes ces années.

« Super ! Après le boulot ? Karma ? »

« ❤️ »

Karma Police, un bar de quartier à l’ambiance sophistiquée mais louche, est notre lieu de prédilection pour commencer nos soirées arrosées. Je commençai à chantonner en attendant la fin de mon quart de travail.

Je travaille comme réceptionniste dans une petite entreprise de services informatiques, à quelques pâtés de maisons de chez moi. C’est un travail honnête et difficile. Je dois me vêtir convenablement, être joyeuse, me concentrer sur n’importe quelle tâche de la journée, répondre au téléphone et m’occuper des visiteurs occasionnels.

J’appelle affectueusement mes collègues mes « fils », car ce sont des introvertis et des excentriques sympathiques, même si leur âge dépasse mes modestes 22 ans. Et ils m’appellent

« Maman ? Tu as l’air heureuse ! »

« Oui, je pars faire la tournée des bars avec ma meilleure amie. »

« Oh, super ! Tu ne la vois plus très souvent. Amuse-toi bien ! Puis-je te demander de m’aider à écrire un courriel à ce client, s’il te plaît ? »

« Oh oui, bien sûr, tout ce que mon fils préféré désire ! »

« Hé ! » intervient un autre fils dans l’espace ouvert, « je pensais que j’étais ton préféré, Maman ? »

« Oh, bien sûr, chéri, tu déchires aussi, je ne pourrais pas choisir, et tu le sais ! Maintenant, laisse Maman travailler un peu. Elle doit partir bientôt. »

Quelques minutes plus tard, je rangeai mon poste de travail, dis au revoir aux collègues restants et me dirigeai vers le bar.

J’arrivai peu après, avec mes écouteurs encore sur les oreilles et un sourire aux lèvres, fredonnant joyeusement le tube rock du moment.

Lou n’était pas seule ; quelques-unes de nos amies les plus proches l’accompagnaient. L’une d’entre elles, Marianne, me vit en premier.

– Marianne : « “Is ! Par ici ! »

– Jamie : « Nous avons c-ommencé à t’attendre e-et avons c-ommandé un Long Island demi-alcool p-our toi. »

« Oh oui ! Quelle entrée en scène ! La reine est arrivée ! Apportez le demi-alcool, manants ! »

Tout devient plus beau entre amis.

Lou, ma meilleure amie, possède ce charme craquant nippo-coréen, associé à sa stature menue. Son physique tout en finesse contrastant avec l’énergie qu’elle dégage et la force de sa personnalité. C’est grâce à elle que je suis devenue extravertie et que j’ai commencé à m’exprimer de manière théâtrale dès que je me sens à l’aise. Ses multiples boucles d’oreilles et piercings, son t-shirt court à l’effigie d’un groupe de death metal, sa veste assortie à un autre groupe de métal ouverte sur un pantalon de jogging bouffant et le début d’un tatouage sur la manche révèle qu’elle va au-delà des apparences.

Marianne, peut-être à cause de son nom d’époque, est tout le contraire. Elle porte principalement des robes médiévales, de longs cheveux blonds soigneusement tressés et des breloques ornées. Elle a toujours l’air majestueuse et on pourrait croire n’importe laquelle de ses phrases sans se poser de questions. Si jamais on doute de sa parole, cette robe médiévale nous empêche irrémédiablement de nous demander si on a raison ou tort.

Jamie est notre tomboy de service. Elle dégage une force impressionnante, porte des t-shirts en cuir ou en stretch et arbore une coupe de cheveux décolorée platine. Mais elle est aussi infiniment timide et réservée. Quel que soit l’interlocuteur, on croirait qu’elle a le béguin pour ce dernier, son visage devenant rouge comme une betterave à chaque regard direct. Une goutte de courage liquide, cependant, et elle se transforme en une personne plus confiante et plus sociable, bien qu’elle bégaie encore et qu’elle manque toujours d’extraversion.

De mon côté, je suis la personne joyeuse d’un peu plus de 1,80 m, un peu potelée, un peu bronzée, avec un corps plein d’amour. La seule chose que je n’aime pas chez moi, c’est mon visage, qui porte les marques de ma crise d’adolescence. Pour le reste, je ne changerais pas mon apparence, et encore moins celle de mes amies, pour tout l’or du monde.

« Alors… ? Quoi de neuf avec notre superbe groupe ? »

– Lou : « Ça fait trooooooop longtemps ! Sincèrement, je n’arrive pas à croire que l’année scolaire n’est toujours pas terminée ; ça n’en finit pas ! »

– Jamie : « C’est vrai, je n’arrive pas à c-roire que je suis toujours en t-rain de me battre avec m-ma m-majeure. »

– Marianne : « Je demeure toujours une cosplayeuse de luxe ! Et toi ? Tu n’es pas encore morte empoisonnée à cause des plats de ton père ? »

« Hé, ils essaient toujours de me faire mourir ! Je suis toujours la même, tu sais, à jouer à la maman avec mes enfants et à lire des romans. »

– Lou : « Oh, voyooons, je ne lirai jaaaamaaaais de romans ! »

« Espèce de tarée ! » Je me mis à rire de cette vieille blague en faisant semblant de jeter mon Long Island sur Lou. « C’est à cause de toi que ma vie s’est écroulée ! En parlant de ruine, je dois vraiment manger quelque chose, sinon… »

Oh, oui, c’est vrai, même si je pèse deux fois plus que ma meilleure amie, je peux boire moins de la moitié du volume de sa consommation avant que tu ne te retrouves avec un poids mort incohérent à traîner à la maison. Avec un estomac vide, je peux probablement réduire la dose à un seul Screwdriver sans alcool avant que je ne rampe au sol.

– Jamie : « La vie est difficile, hein ? »

– Marianne : « L’euphémisme du siècle. On pourrait dire qu’essayer de survivre en tant que porte-parole rémunérée, alors que la planète brûle et que le gouvernement semble déterminé à créer un Mad Max en direct, c’est loin d’être agréable. »

– Lou : « Au moins, les délinquants ne sont pas trop nombreux ici. La vie se montre difficile, mais notre ville demeure relativement sécuritaire. »

– Iris : « Oh ! Lou ! Tu ne sais pas que dire des choses comme ça porte malheur ? Maintenant, quelque chose va certainement arriver. C’est une règle tellement élémentaire que je ne peux pas croire que tu nous condamnes de la sorte ! »

– Lou : « Mais qu’est-ce que tu nous racontes, on se trouve dans une histoire ? Allez, bois ton premier verre, espèce de poids plume, et passons au prochain bar ! »

– Iris : « Sérieusement ? Lou, il me reste un quart de verre, alors que tu bois toujours ta deuxième chope de bière, et tu en as commandé une autre qui n’est pas encore arrivée. Et tu me dis que tu finiras avant moi, et moins ivre ? »

– Marianne : « … »

– Jamie : « … »

– Lou : « … »

« D’accord, d’accord, d’accord, je me dépêche. »

Tout le monde se mit à rire et nous nous préparâmes lentement à passer au prochain point de ravitaillement.

Nous prîmes lentement nos sacs et partîmes pour l’extérieur. La température est agréable, avec une légère brise froide et un ciel plein de… non, il n’y a que la lune. Nous vivons en grande ville, donc nous ne pouvons pas voir la Voie lactée. Quoi qu’il en soit, la soirée s’avère magnifique.

– Iris : « Alors, où allons-nous ensuite ? »

– Jamie : « Où d’autres ? M-ême lieu que d’habitude ? Ou tu as q-uelque chose en tête ? »

– Lou : « Je vais boire à ça ! »

La rue séparant les deux bars était déserte ; il n’y avait pratiquement pas de piétons et pas de voitures. Bien sûr, c’est à ce moment-là que je sentis une lame me creuser douloureusement le dos, et une présence menaçante.

« Ne bouge pas si tu ne veux pas mourir. »

Lou, ma bonne amie Lou. Pourquoi as-tu dû nous jeter ce mauvais sort ?

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